Octave Mirbeau

Octave Mirbeau, né le 16 février 1848 à Trévières et mort le 16 février 1917 à Paris, est un écrivain et un journaliste français.



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Mirbeau - Écrivain français du XIXe siècle - Dramaturge français du XIXe siècle - Écrivain français du XXe siècle - Dramaturge français du XXe siècle - Auteur de roman érotique - Nouvelliste - Écrivain libertaire - Écrivain normand - Affaire Dreyfus - Adversaire de la peine de mort - Anarchiste - Athéisme - Critique d'art - Journaliste français - L'Endehors - Les Temps Nouveaux - Personnalité de la Ligue des Droits de l'Homme (France) - Personnalité de la Troisième République - Naissance dans le Calvados - Naissance en 1848 - Décès en 1917

Octave Mirbeau
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Activité (s) Écrivain, journaliste
Naissance 1848
Trévières
Décès 1917
Paris
Langue d'écriture français
Mouvement (s) impressionnisme, expressionnisme
Genre (s) roman, théâtre, critique d'art

Octave Mirbeau, né le 16 février 1848 à Trévières (Calvados) et mort le 16 février 1917 à Paris, est un écrivain et un journaliste français. Octave Mirbeau a connu une célébrité européenne et de grands succès populaires, tout en étant aussi apprécié et reconnu par les avant-gardes littéraires et artistiques, ce qui n'est pas commun.

Journaliste influent et fort bien rémunéré, critique d'art défenseur des avant-gardes, pamphlétaire redouté, il a été aussi un romancier novateur, qui a contribué à l'évolution du genre romanesque, et un dramaturge, à la fois classique et moderne, qui a triomphé sur l'ensemble des grandes scènes du monde. Mais, après sa mort, il a traversé pendant un demi-siècle une période de purgatoire : il était visiblement trop dérangeant pour l'establishment, tant sur le plan littéraire et esthétique que sur le plan politique et social. Littérairement incorrect, il était inclassable, il faisait fi des étiquettes, des théories et des écoles, et il étendait à l'ensemble des genres littéraires sa contestation radicale des institutions culturelles ; aussi politiquement incorrect, farouchement individualiste et libertaire, il incarnait une figure d'intellectuel critique, potentiellement subversif et «irrécupérable», selon l'expression de Jean-Paul Sartre dans Les Mains sales.

Biographie

Les débuts

Jeunesse

Contes de la chaumière, illustrés par Jean-François Raffaëlli, 1894

Petit-fils de notaires normands, fils d'un médecin (ou, plus exactement, d'un officier de santé) de Rémalard, dans le Perche, le jeune Octave Mirbeau fait des études médiocres au collège des jésuites de Vannes, d'où il est chassé dans des conditions plus que suspectes, qu'il évoquera en 1890 dans son roman Sébastien Roch[1].

Après son baccalauréat, il entame sans la moindre conviction des études de droit, qu'il n'achève pas, et rentre à Rémalard, où il travaille chez le notaire du village. Mobilisé, il subit la guerre de 1870 dans l'armée de la Loire, et l'expérience traumatisante de la débâcle lui inspirera plusieurs contes et des chapitres démystificateurs du Calvaire et de Sébastien Roch.

En 1872, il «monte» à Paris et fait ses débuts journalistiques dans le quotidien de l'Appel au Peuple, nouveau nom du parti bonapartiste, L'Ordre de Paris, dirigé par un client et voisin de son père, l'ancien député de l'Orne Henri Dugué de la Fauconnerie, qui lui a offert l'occasion de fuir le destin notarial où il se sentait enfermé. Il devient le secrétaire spécifique de Dugué et se trouve par conséquent, à ce titre, chargé d'écrire tout ce qui s'écrit chez lui : épisode douloureux, dont il se souviendra amèrement dans son roman inachevé, publié après sa mort, Un gentilhomme.

Entrée en journalisme

Les Grimaces, 1883

Pendant une douzaine d'années, Octave Mirbeau va par conséquent faire «le domestique», comme secrétaire spécifique, et «le trottoir», comme il l'écrit des journalistes généralement, comme collaborateur à gages de divers organes de presse : selon lui, en effet, «un journaliste se vend à qui le paie[2]».

Ses chroniques ont paru successivement dans L'Ordre de Paris, organe officiel de l'Appel au Peuple, bonapartiste, jusqu'en 1877 ; puis dans L'Ariégeois, au service du baron de Saint-Paul, député de l'Ariège, en 1877-1878 ; puis dans Le Gaulois, devenu monarchiste sous la direction d'Arthur Meyer (1880-1882).

En 1883, pendant trois mois, il dirige et rédige presque seul un biquotidien d'informations rapides, Paris-Midi Paris-Minuit. Puis, pendant six mois, il devient le rédacteur en chef pour le compte du banquier Edmond Joubert, vice-président de la Banque de Paris et des Pays-Bas des Grimaces, hebdomadaire attrape-tout, anti-opportuniste et antisémite (sur ce point, il a fait son auto-critique dès le 14 janvier 1885 dans La France). Il entend y faire grimacer les puissants, démasquer leurs turpitudes et dévoiler les scandales de la pseudo-République, où, selon lui, une bande de «joyeux escarpes» crochètent impunément les caisses de l'État. Paul Hervieu, qui, ainsi qu'Alfred Capus, participe aux Grimaces sous le pseudonyme de Liris, devient son ami et son confident.

Au début des années 1880, Octave Mirbeau fait aussi «le nègre»[3] et ainsi produit une dizaine de volumes, publiés sous au moins deux pseudonymes (Alain Bauquenne et Forsan). Cela lui permet, non seulement de gagner convenablement sa vie, à une époque où il entretient une maîtresse dispendieuse, mais également et en particulier de faire ses gammes et ses preuves, en attendant de pouvoir voler de ses propres ailes, signer sa copie et la vendre avantageusement[4]. En 1882, sous le pseudonyme de Gardéniac, il fait aussi paraître dans Le Gaulois une série de Petits poèmes parisiens, où il cite pour la première fois un poème fréquemment attribué à Rimbaud, «Poison perdu»[5].

Le grand tournant

Claude Monet, toile d'Auguste Renoir.

En 1884, pour se remettre et se purger d'une passion dévastatrice pour une femme de petite vertu, Judith Vimmer – expérience qui lui inspirera son premier roman officiel, Le Calvaire –, Mirbeau fait retraite pendant sept mois à Audierne, dans le Finistère, et se purge au contact des marins et paysans bretons. C'est le grand tournant de 1884-1885 : de retour dans la presse parisienne, il débute, tardivement et difficilement, à écrire pour son propre compte et entame sa rédemption par le verbe[6] : ce n'est pas un hasard si la suite projetée du Calvaire, jamais rédigée, devait exactement s'intituler La Rédemption.

Dès lors il met sa plume au service de ses valeurs éthiques et esthétiques et engage les grands combats éthiques, politiques, artistiques et littéraires, qui donneront de lui l'image durable d'un justicier et d'un imprécateur. C'est à la fin de 1884 que débute sa longue amitié pour les deux «grands dieux de [son] cœur», Claude Monet et Auguste Rodin[7].

La consécration

Entrée en littérature

Mirbeau poursuit désormais une double carrière de journaliste et d'écrivain. Chroniqueur, conteur et critique d'art influent, redouté et de mieux en mieux rémunéré, il participe, successivement ou parallèlement, à La France, au Gaulois, au Matin, au Gil Blas, au Figaro, à L'Écho de Paris, puis, pendant dix ans, à partir de l'automne 1892, au Journal, où il touche 350 francs par article (environ 1 100 euros), ce qui est particulièrement énorme pour l'époque.

Le Calvaire, illustré par Georges Jeanniot (1901)

Outre ses chroniques, il y fait paraître de nombreux contes, dont il ne publie en volume qu'une petite partie : Lettres de ma chaumière (1885) – dont l'exergue est significatif de son engagement éthique : «Ne hais personne, pas même le méchant. Plains le , car il ne connaîtra jamais l'unique jouissance qui console de vivre : faire le bien» – et Contes de la chaumière (1894)  ; la majorité ne seront publiés qu'après sa mort, en plusieurs volumes, et seront recueillis en 1990 dans ses Contes cruels (rééditions en 2000 et 2009).

Parallèlement il entame tardivement, sous son propre nom, une carrière de romancier : Le Calvaire (novembre 1886), qui lui vaut un succès de scandale, surtout à cause du deuxième chapitre démystificateur sur la débâcle de l'armée de la Loire au cours de la guerre de 1870, qui fait hurler les nationalistes et que Juliette Adam a refusé de publier dans la Nouvelle revue  ; puis L'Abbé Jules (avril 1888), roman dostoïevskien dont le héros est un prêtre révolté, déchiré par ses contradictions et fauteur de scandales ; et Sébastien Roch (mars 1890), sur un sujet tabou, le viol d'adolescents par des prêtres, ce qui lui vaut une véritable conspiration du silence. Ces œuvres novatrices, en rupture avec les conventions du naturalisme, sont vivement appréciées des connaisseurs et de l'avant-garde littéraire, mais sont négligées par une critique conformiste, effrayée par leurs audaces[8].

C'est au cours de cette période qu'il entame une vie de couple avec Alice Regnault, une ancienne actrice de théâtre, qu'il épouse, honteusement et en catimini, à Londres, le 25 mai 1887, après deux ans et demi de vie commune. Mais Mirbeau ne se fait aucune illusion sur ses chances de jouir du bonheur conjugal, comme en témoigne une nouvelle au titre amèrement ironique, publiée au lendemain de son mariage : «Vers le bonheur». «L'abîme» qui, selon lui, sépare à tout jamais les deux sexes, les condamne irrémédiablement à de douloureux malentendus, à l'incompréhension ainsi qu'à la solitude. Cette expérience le poussera, vingt ans plus tard, à interpréter à sa façon les relations entre Balzac et Évelyne Hanska dans La Mort de Balzac (1907), sous-chapitres de La 628-E8, où il ne cherchera pas à établir une impossible «vérité» historique et qui lui servira avant tout d'exutoire pour exhaler son amertume et ses frustrations.

Crise

Pendant les sept années qui suivent, Mirbeau traverse une interminable crise morale, où le sentiment de son impuissance à se renouveler[9], sa remise en cause des formes littéraires, surtout du genre romanesque, jugé par trop vulgaire, et son pessimisme existentiel, qui confine au nihilisme, sont aggravés par une douloureuse crise conjugale qui perdure – et dont témoigne une longue nouvelle, Mémoire pour un avocat (1894). C'est au cours de cette période complexe qu'il s'engage dans le combat anarchiste[10] et qu'il découvre Vincent Van Gogh, Paul Gauguin et Camille Claudel, dont il proclame à trois reprises le «génie». Il publie aussi son roman Dans le ciel en feuilleton dans L'Écho de Paris (mais non en volume), et il rédige sa première grande pièce, Les Mauvais bergers, tragédie prolétarienne profondément pessimiste, qui sera créée en décembre 1897 par les deux plus grandes "stars" de la scène de l'époque, Sarah Bernhardt et Lucien Guitry.

Triomphe

Sébastien Roch, tome III de la première édition russe des œuvres complètes de Mirbeau, 1908

Au tournant du siècle, après l'Affaire Dreyfus, dans laquelle il s'engage passionnément, Mirbeau remporte de grands succès de ventes et de scandales avec Le Jardin des supplices (juin 1899) et Le Journal d'une femme de chambre (juillet 1900), et , à degré moindre, avec Les Vingt et un Jours d'un neurasthénique (août 1901)  ; puis il connaît un triomphe mondial au théâtre avec Les affaires sont les affaires (1903), puis avec Le Foyer (1908), deux comédies de mœurs au vitriol qu'il parvient, non sans mal, à faire représenter à la Comédie-Française, au terme de deux longues batailles. La 628-E8 connaît aussi un succès de scandale en novembre 1907, à cause, en particulier, des sous-chapitres sur La Mort de Balzac. Ses œuvres sont alors traduites en de nombreuses langues, et sa réputation et son audience ne font que croître dans toute l'Europe, tout spécifiquement en Russie, où, bien avant la France, paraissent deux éditions de ses œuvres complètes entre 1908 et 1912.

Personnalité de premier plan, craint tout autant qu'admiré, à la fois marginal – par ses orientations esthétiques et par ses prises de position politiques radicales –, et au cœur du dispositif culturel dominant qu'il contribue à dynamiter de l'intérieur, il s'est vu consacré par ses pairs comme un maître : ainsi Léon Tolstoï voit-il en lui «le plus grand écrivain français contemporain, et celui qui représente le mieux le génie séculaire de la France[11]» ; Stéphane Mallarmé rédigé-il qu'il «sauvegarde sans doute l'honneur de la presse en faisant que toujours y ait été parlé, ne fût-ce qu'une fois, par lui, avec quel feu, de chaque œuvre d'exception[12]» ; Georges Rodenbach voit-il en lui «Le Don Juan de l'Idéal[13]» et Remy de Gourmont «le chef des Justes par qui sera sauvée la presse maudite[14]», cependant qu'Émile Zola salue, chez l'auteur du Journal d'une femme de chambre, «Le justicier qui a donné son cœur aux misérables ainsi qu'aux souffrants de ce monde[15]».

Demeures

Camille Pissarro, Jardin de Mirbeau aux Damps (1891).

Après son mariage avec Alice Regnault, Mirbeau a préféré quitter Paris et s'est installé en Bretagne, à Kérisper, près d'Auray. Il a aussi passé plusieurs hivers sur la Côte d'Azur ; ainsi, son roman Sébastien Roch est en partie rédigé à Menton. Puis, de 1889 à 1892, il a habité Les Damps, près de Pont-de-l'Arche, dans l'Eure, où Camille Pissarro a laissé quatre toiles de son jardin.

Mais, se sentant trop éloigné de Paris, il a déménagé à Carrières-sous-Poissy (Seine-et-Oise), où il a fait de son jardin une source d'émerveillement pour ses visiteurs. Devenu riche, il s'est installé à Paris, boulevard Delessert, près du Trocadéro, puis s'est partagé un temps entre son luxueux appartement de l'avenue du Bois (actuelle avenue Foch), où il a emménagé en novembre 1901, et le «château» de Cormeilles-en-Vexin, acquis en 1904 par sa femme Alice. En 1909, il s'est fait construire une maison à Triel-sur-Seine, où il passe ses dernières années, avant de revenir à Paris pour se rapprocher de son médecin, le professeur Albert Robin.

Dans toutes ses demeures, il a cultivé passionnément son jardin, rivalisant avec Claude Monet, a reçu abondamment ses nombreux amis – surtout Paul Hervieu, son ancien complice des Grimaces, les peintres Claude Monet et Camille Pissarro, le sculpteur Auguste Rodin, et le journaliste Jules Huret –, et il a collectionné amoureusement les œuvres d'art des artistes novateurs qu'il a contribué à promouvoir[16].

Crépuscule

Octave Mirbeau en 1916.

Les dernières années de la vie d'Octave Mirbeau sont désolantes : presque constamment malade, à partir de 1908, il est désormais incapable d'écrire : c'est son jeune ami et successeur Léon Werth qui doit achever Dingo, qui paraît en juin 1913. La terrifiante boucherie de la Première Guerre mondiale achève de désespérer un homme qui, malgré un pessimisme confinant fréquemment au nihilisme, n'a néenmoins jamais cessé de parier sur la raison de l'homme et de miser sur l'amitié franco-allemande pour garantir la paix en Europe (voir surtout La 628-E8, 1907). Il meurt le jour de son 69e anniversaire.

Œuvre

Ses engagements

Combats politiques

Page de couverture de La grève des électeurs.

Sur le plan politique, Mirbeau s'est rallié officiellement à l'anarchisme en 1890. Mais, bien avant cette date, il était déjà révolté et réfractaire à l'ensemble des idéologies aliénantes, radicalement libertaire, farouchement individualiste, irréductiblement pacifiste, fermement athée depuis son adolescence[17], anticlérical, antireligieux[18] et antimilitariste[19].

Il s'est battu avec constance contre l'ensemble des forces d'oppression, d'exploitation et d'aliénation : la famille et l'école «éducastratrices» ; l'Église catholique et les croyances religieuses (tout juste bonnes, selon lui, pour les pensionnaires de l'asile de Charenton)  ; l'armée, les «âmes de guerre»[20] et le bellicisme ; la presse vénale et anesthésiante ; le capitalisme industriel et financier, qui permet aux gangsters et prédateurs des affaires de se partager les richesses du monde ; les conquêtes coloniales, qui transforment des continents entiers en jardins des supplices ; et le dispositif politique bourgeois, qui se prétend abusivement républicain, tandis qu'il ne fait qu'assurer la main-mise d'une minorité sur tout le pays, avec la bénédiction des électeurs moutonniers, «plus bêtes que les bêtes» : aussi appelle-t-il ses lecteurs à faire La Grève des électeurs : «En particulier, souviens-toi que l'homme qui sollicite tes suffrages est , par conséquent, un malhonnête homme, parce qu'en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu'il ne te donnera pas et qu'il n'est d'ailleurs pas en son pouvoir de te donner. [... ] Les moutons vont à l'abattoir. Ils ne disent rien, et ils n'espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l'électeur appelle son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit.»[21]).

Pamphlétaire efficace et d'autant plus redouté, Mirbeau met en œuvre une ironie démystificatrice, un humour noir dérangeant et une rhétorique de l'absurde, dans l'espoir d'obliger certains de ses lecteurs à réagir ainsi qu'à se poser des questions, même s'il ne se fait guère d'illusions sur la majorité de son lectorat. Il recourt volontiers à l'interview imaginaire des puissants de ce monde, pour mieux dévoiler leur médiocrité et leurs turpitudes. Une anthologie de ses articles a paru sous le titre de Combats politiques[22].

Combats éthiques

J'accuse, article d'Émile Zola paru dans L'Aurore le 13 janvier 1898

Ardent dreyfusard, il s'engage avec passion dans le grand combat pour les valeurs cardinales du dreyfusisme, la Vérité et la Justice (1898-1899). Il rédige le texte de la pétition des intellectuels, qui paraît le 16 janvier 1898 ; il participe à L'Aurore d'août 1898 à juin 1899 ; il participe à de multiples réunions publiques à Paris et en province, au risque, quelquefois, de se faire tabasser par les nationalistes et antisémites, comme à Toulouse, en décembre 1898, ainsi qu'à Rouen, en février 1899 ; et , le 8 août 1898, il paye de sa poche la grosse amende d'un montant de 7 555, 25 francs (avec les frais du procès), à laquelle a été condamné Émile Zola pour son J'accuse, paru le 13 janvier dans L'Aurore[23]. En août 1898 aussi, dans L'Aurore, il tente de mobiliser les deux groupes sociaux dont l'union est la condition du succès : d'une part, les intellectuels, qui «ont un grand devoir... celui de défendre le patrimoine d'idées, de science, de découvertes glorieuses, de beauté, dont ils ont enrichi le pays, dont ils ont la garde et dont ils savent néenmoins bien ce qu'il en reste lorsque les hordes barbares ont passé quelque part !...» [24] ; et , d'autre part, les prolétaires, qui se sentent peu concernés par le sort d'un officier appartenant à la classe dominante : «L'injustice qui frappe un être vivant - fût-il ton ennemi - te frappe du même coup. Par elle , l'Humanité est lésée en vous deux. Tu dois en poursuivre la réparation, sans relâche, l'imposer par ta volonté, et , si on te la refuse, l'arracher par la force, au besoin.» [25]

Cet article fait partie d'une série sur
l'affaire Dreyfus
Degradation alfred dreyfus.jpg

Articles de base
Chronologie · L'Armée ·
Aspects sociaux · Le droit ·
Hypothèses ·
Politique et diplomatie ·
La presse et l'édition

Documents
L'acte d'accusation·
Le bordereau · «J'accuse... !»

Personnalités
Alfred Dreyfus · Mathieu Dreyfus ·
Ferdinand Esterházy ·
Hubert-Joseph Henry ·
Bernard Lazare ·
Auguste Mercier ·
Octave Mirbeau ·
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Auguste Scheurer-Kestner ·
Émile Zola

Articles connexes
Antisémitisme (en France) ·
Crises de la Troisième République

Catégorie
Affaire Dreyfus

Octave Mirbeau incarne l'intellectuel à qui rien de ce qui est humain n'est étranger. Conscient de sa responsabilité de journaliste écouté et d'écrivain prestigieux, il mène avant tout un combat éthique et , s'il s'engage dans les affaires de la cité, c'est en toute indépendance à l'égard des partis, en qui il n'a aucune confiance, et tout simplement parce qu'il ne peut supporter l'idée d'être complice, par son silence, comme tant d'autres par leur passivité, de l'ensemble des crimes qui se perpètrent à travers le monde : «Je n'ai pas pris mon parti de la méchanceté et de la laideur des hommes. J'enrage de les voir persister dans leurs erreurs monstrueuses, de se complaire à leurs cruautés raffinées... Et je le dis», confie-t-il en 1910, tandis que son état de santé le condamne à une semi-retraite[26]. Son devoir est avant tout d'être lucide et de nous forcer à voir, en nous inquiétant, ce que, aveugles volontaires, nous préférons le plus souvent éviter de regarder en face, histoire de préserver notre confort moral[27]. Telle est par conséquent la mission humaniste de la littérature : «Aujourd'hui l'action doit se réfugier dans le livre. C'est dans le livre seul que, dégagée des contingences malsaines et multiples qui l'annihilent et l'étouffent, elle peut trouver le terrain propre à la germination des idées qu'elle sème. […] Les idées demeurent et pullulent : semées, elles germent ; germées, elles fleurissent. Et l'humanité vient les cueillir, ces fleurs, pour en faire les gerbes de joie de son futur affranchissement.»[28]

Combats esthétiques

Van Gogh, Les Iris, toile acquise par Mirbeau en 1891

Parallèlement, comme critique d'art influent et pourvu d'une espèce de prescience, il pourfend l'art académique des Édouard Detaille, Jean-Louis-Ernest Meissonier, Alexandre Cabanel et William Bouguereau, il tourne en ridicule le dispositif des Salons, ces «bazars à treize sous», ces «grandes foires aux médiocrités grouillantes et décorées»[29], et il bataille pour les grands artistes novateurs, longtemps moqués et méconnus[30], parce que les sociétés, selon lui, ne sauraient tolérer le génie : «Tout l'effort des collectivités tend à faire disparaître de l'humanité l'homme de génie, parce qu'elles ne permettent pas qu'un homme puisse dépasser de la tête un autre homme, et qu'elles ont décidé que toute supériorité, dans n'importe quel ordre, est , sinon un crime, du moins une monstruosité, quelque chose de totalement anti-social, un ferment d'anarchie. Honte et mort à celui dont la taille est trop haute !»[31] Mirbeau se fait par conséquent le chantre attitré d'Auguste Rodin, de Claude Monet et de Camille Pissarro ; il est l'admirateur de Paul Cézanne, d'Edgar Degas et d'Auguste Renoir, le défenseur d'Eugène Carrière, de Paul Gauguin — qui, grâce à ses articles élogieux, en février 1891, peut payer son voyage à Tahiti —, de Félix Vallotton, d'Édouard Vuillard et de Pierre Bonnard, le découvreur de Maxime Maufra, de Constantin Meunier, de Vincent Van Gogh, de Camille Claudel, dont il proclame à trois reprises le «génie», d'Aristide Maillol et de Maurice Utrillo.

Ses articles sur l'art ont été recueillis dans les deux gros volumes de ses Combats esthétiques, parus à la Librairie Séguier en 1993.

Combats littéraires

Marguerite Audoux

Il mène aussi le bon combat pour des écrivains aussi novateurs : il lance surtout Maurice Mæterlinck en août 1890, par un article retentissant du Figaro[32], et Marguerite Audoux en 1910[33] ; il défend et promeut Remy de Gourmont, Marcel Schwob, Léon Bloy et Jules Renard, qu'il fait élire à l'Académie Goncourt en 1907, en menaçant de démissionner[34] ; il vient en aide à Alfred Jarry ainsi qu'à Paul Léautaud ; il admire inconditionnellement Léon Tolstoï et Dostoïevski, qui lui ont révélé les limites de l'art latin, fait de clarté et de mesure ; il prend à deux reprises la défense d'Oscar Wilde condamné aux travaux forcés[35] ; et il contribue à la réception en France de Knut Hamsun[36] et d'Ibsen.


Nommé membre de l'Académie Goncourt par la volonté testamentaire d'Edmond de Goncourt, qu'il a plusieurs fois défendu dans la presse, Mirbeau fait entendre sa voix et se bat avec ferveur, à partir de 1903, pour de jeunes écrivains originaux qu'il contribue à promouvoir, même s'ils n'obtiennent pas le prix Goncourt : Paul Léautaud, Charles-Louis Philippe, Émile Guillaumin, Valery Larbaud, Marguerite Audoux, Neel Doff, Charles Vildrac et Léon Werth[37].

Ses chroniques sur la littérature et le journalisme ont été recueillies en 2006 dans ses Combats littéraires, L'Âge d'Homme, Lausanne.

Mirbeau romancier

De la négritude au roman autobiographique

Georges Jeanniot, illustration du chapitre II du Calvaire, 1901

Mirbeau s'est en premier lieu avancé masqué et a publié, sous au moins deux pseudonymes, pour plusieurs commanditaires, une dizaine de romans rédigés comme nègre (surtout L'Écuyère[38], La Maréchale[39] et La Belle Madame Le Vassart[40]). Il y fait brillamment ses gammes, fluctue les modèles dont il s'inspire et inscrit ses récits dans le cadre de romans-tragédies, où le fatum prend la forme du déterminisme psychologique et socioculturel. Et, déjà, il trace un tableau au vitriol de ce «loup dévorant» qu'est «le monde», et de la «bonne société» qu'il abomine et dont il connaît les dessous peu ragoûtants pour l'avoir fréquentée pendant une douzaine d'années.

Il fait, dans le genre romanesque, des débuts officiels fracassants, sous son propre nom, avec un roman qui, publié chez Ollendorff, obtient un succès de scandale, Le Calvaire (1886), où il se libère par l'écriture des traumatismes de sa destructrice passion pour Judith Vimmer, rebaptisée Juliette, en même temps que, dans le chapitre II, il dresse un tableau impitoyable de l'armée française au cours de la guerre de 1870, qu'il a vécue, comme «moblot» (mobile), dans l'armée de la Loire.

En 1888, il publie, chez Ollendorff, L'Abbé Jules, premier roman dostoïevskien et pré-freudien de notre littérature, vivement admiré par Léon Tolstoï, Georges Rodenbach, Guy de Maupassant et Théodore de Banville, où, dans le cadre percheron de son enfance, apparaissent deux personnages fascinants : l'abbé Jules et le père Pamphile. Dans un troisième roman autobiographique, Sébastien Roch (1890), il évacue un autre traumatisme : celui de son séjour chez les jésuites de Vannes – «un enfer», écrivait-il en 1862 à son confident Alfred Bansard[41] – et des violences sexuelles qu'il pourrait bien y avoir subies, à l'instar du personnage éponyme. Il transgresse ainsi un tabou qui a duré toujours plus d'un siècle : le viol d'adolescents par des prêtres[42].

La crise du roman

Vincent Van Gogh, Les Tournesols

Il traverse alors une grave crise existentielle et littéraire, durant laquelle il remet radicalement en cause le genre romanesque. Il publie néanmoins en feuilleton un extraordinaire roman, particulièrement noir, expressionniste et pré-existentialiste avant la lettre, sur la souffrance de l'humaine condition et la tragédie de l'artiste, Dans le ciel. Il y met en scène un peintre directement inspiré de Van Gogh, dont, à l'insu de sa pingre épouse, il vient d'acheter au père Tanguy, pour 600 francs (1 800 euros !), deux toiles qui, revendues en 1987, seront alors les plus chères au monde : Les Iris et Les Tournesols...

Au lendemain de l'affaire Dreyfus, son pessimisme est toujours renforcé, et il publie deux romans fin-de-siècle qui en témoignent. Jugés «scandaleux» par les Tartuffes et les «bien-pensants» de tout poil, ils n'en connaissent pas moins un énorme succès à travers le monde (ils sont traduits dans une trentaine de langues et sont constamment réédités dans l'ensemble des pays)  : en premier lieu, Le Jardin des supplices (1899), où la distanciation géographique et l'exotisme favorisent sa dénonciation d'une prétendue civilisation reposant sur la culture du meurtre[43] ; ensuite, le Journal d'une femme de chambre (1900), où, à travers le regard d'une soubrette lucide, il s'emploie à démasquer les «honnêtes gens», pires à ses yeux que les «canailles»[44]. Il y met déjà à mal le genre romanesque, en pratiquant la technique du collage, et en transgressant les codes de la vraisemblance, de la crédibilité romanesque et des hypocrites bienséances. Les 21 jours d'un neurasthénique (1901) systématise le recours au collage et nous donne une vision grinçante des hommes et de la société, à travers le regard d'un neurasthénique qui projette son mal-être sur un univers et une société bourgeoise prise de folie, où rien ne rime à rien et où tout marche à rebours de la justice et du bon sens.

La mise à mort du roman

Balzac, 1918, première édition des chapitres sur la mort de Balzac supprimés in extremis de La 628-E8 en novembre 1907

Octave Mirbeau achève de mettre à mort le vieux roman prétendument réaliste dans ses deux dernières œuvres narratives : La 628-E8 (1907), amputée in extremis de La Mort de Balzac, qui se présente comme un récit de voyage en automobile à travers la Belgique, la Hollande et l'Allemagne ; et Dingo (1913), achevé par Léon Werth, parce que Mirbeau, malade, n'était plus capable d'écrire. Les héros de ces deux récits ne sont autres que sa propre automobile (la fameuse Charron immatriculée 628-E8) et son propre chien tendrement aimé, Dingo, effectivement mort à Veneux-Nadon en octobre 1901. Mirbeau renonce aux subterfuges des personnages romanesques et se met lui-même en scène comme écrivain, inaugurant ainsi une forme d'autofiction avant la lettre. Il renonce à toute trame romanesque ainsi qu'à toute composition, et obéit uniquement à sa fantaisie.

Enfin, sans le moindre souci de réalisme, il multiplie les caricatures, les effets de grossissement et les «hénaurmités» pour mieux nous ouvrir les yeux. C'est ainsi qu'on peut comprendre le chapitre de La 628-E8 sur La Mort de Balzac, qui a fait scandale, et où certains critiques, surtout Marcel Bouteron[45], ont voulu voir une vulgaire calomnie à l'encontre de Mme Hanska, tandis qu'il ne s'agit, pour le romancier, que d'exprimer sa propre gynécophobie et d'exorciser ses propres frustrations[46].

Par-dessus le roman codifié du XIXe siècle à prétentions réalistes, Mirbeau renoue avec la totale liberté des romanciers du passé, de Rabelais à Sterne, de Cervantès à Diderot, et il annonce ceux du vingtième siècle[47].

Mirbeau dramaturge

Une tragédie prolétarienne

Au théâtre, Mirbeau a fait ses débuts avec une tragédie prolétarienne, Les Mauvais bergers, sur un sujet proche de celui du Germinal d'Émile Zola : l'éclosion d'une grève ouvrière et son écrasement dans le sang. Elle a été créée au théâtre de la Renaissance, le 15 décembre 1897, par deux monstres sacrés de la scène, Sarah Bernhardt et Lucien Guitry. Mirbeau y proclame surtout le droit à la beauté pour tous[48]. Mais le pessimisme domine, confinant même au nihilisme : au dénouement, ne subsiste aucun espoir de germinations futures. Mirbeau jugera sa pièce énormément trop déclamatoire et songera même à l'effacer de la liste de ses œuvres. Mais des groupes anarchistes la traduiront et la représenteront à travers l'Europe.

Deux grandes comédies

En 1903, il connaît un triomphe mondial, surtout en Allemagne et en Russie, avec une grande comédie classique de mœurs et de caractères dans la tradition de Molière, qu'il a fait représenter à la Comédie-Française au terme d'une longue bataille, marquée par la suppression du comité de lecture, en octobre 1901 : Les affaires sont les affaires, créée le 20 avril 1903. C'est là qu'apparaît le personnage d'Isidore Lechat, archétype du brasseur d'affaires moderne, produit d'un monde nouveau : il fait argent de tout, intervient sur l'ensemble des terrains, caresse de vastes projets et étend sans scrupules ses tentacules sur le monde.

En 1908, au terme d'une nouvelle bataille judiciaire et médiatique, qu'il remporte de haute lutte contre Jules Claretie, l'administrateur de la Maison de Molière, il fait de nouveau représenter à la Comédie-Française une pièce à scandale, co-signée par son ami Thadée Natanson, Le Foyer. Il y pourfend une nouvelle fois la prétendue charité, qui n'est qu'un juteux business[49], et transgresse un nouveau tabou : l'exploitation économique et sexuelle d'adolescentes dans un foyer prétendument «charitable», avec la complicité du gouvernement républicain, qui préfère étouffer le scandale[50].

Farces et moralités

Mirbeau a aussi fait jouer six petites pièces en un acte, recueillies sous le titre de Farces et moralités (1904)  : tout en se situant dans la continuité des moralités médiévales à intentions pédagogiques et moralisatrices, il anticipe le théâtre de Bertolt Brecht, de Marcel Aymé, d'Harold Pinter et d'Eugène Ionesco[51] Il y subvertit les normes sociales, il démystifie la loi et il porte la contestation au niveau du langage, qui contribue surtout à assurer la domination de la bourgeoisie (il tourne surtout en dérision le discours des politiciens et le langage de l'amour[52]).

Contradictions

Octave Mirbeau était un homme, un écrivain et un intellectuel engagé pétri de contradictions[53], qui lui ont valu bien des critiques, mais qui sont constitutives de son humanité en même temps que le produit de la diversité de ses exigences.

Sensibilité et détachement

Doté d'une extrême sensibilité, qui lui vaut d'éprouver d'intenses satisfactions d'ordre esthétique, par exemple, il est du même coup exposé de plein fouet aux souffrances et déceptions en tous genres que réserve la vie. Aussi passe-t-il par des périodes contemplatives, devant des parterres de fleurs ou des œuvres d'art où il trouve un refuge loin du monde des hommes, et aspire-t-il à une philosophie du détachement, qui rappelle l'ataraxie des stages stoïciens et qui l'amène à s'intéresser au Nirvana des bouddhistes (ce n'est bien entendu pas un hasard s'il signe du pseudonyme de Nirvana les sept premières Lettres de l'Inde de 1885). Mais, à l'instar de l'abbé Jules, du roman homonyme, il est fort en peine de juguler les élans de son cœur.

Désespoir et engagement

Mirbeau a toujours fait preuve d'une lucidité impitoyable, et radicalement matérialiste, et il n'a eu de cesse de dénoncer l'ensemble des opiums du peuple et l'ensemble des illusions qui interdisent aux hommes de «regarder Méduse en face» et de se voir tels qu'ils sont , dans toute leur horreur[54]. Et néenmoins ce désespéré n'a jamais cessé d'espérer et de lutter pour se rapprocher de l'idéal entrevu, comme si les hommes étaient amendables, comme si l'organisation sociale pouvait être réellement perfectionnée. Le pessimisme radical de sa raison est toujours contrebalancé par l'optimisme de sa volonté.

Idéalisme et réalisme

Farouchement libertaire, et foncièrement hostile à l'ensemble des formes de pouvoir, Mirbeau a toujours refusé la forme partidaire et ne s'est rallié à aucun groupe anarchiste. Mais l'affaire Dreyfus lui a fait comprendre l'obligation de faire des compromis et de passer des alliances, fût-ce avec des politiciens bourgeois naguère vilipendés et des socialistes honnis, pour avoir quelques chances de remporter des victoires, fussent-elles provisoires. D'autre part, son anarchisme est problématique, puisque l'absence d'État et la totale liberté laissée aux individus ne pourraient qu'assurer le triomphe des prédateurs sans scrupules, tels qu'Isidore Lechat, dans Les affaires sont les affaires. Aussi a-t-il fini par faire un bout de route avec Jaurès et par accepter de participer à L'Humanité à ses débuts, dans l'espoir de «diminuer l'État à son minimum de malfaisance»[55].

Un écrivain réfractaire à la littérature

Enfin, Mirbeau est un écrivain paradoxal, qui a rédigé beaucoup, tout en se prétendant frappé d'impuissance, et qui a contesté le principe même de la littérature, faite de mots et véhicule de mensonges[56], en même temps que l'ensemble des genres littéraires. Journaliste, il n'a jamais cessé de vilipender la presse vénale, accusée de désinformation, de crétinisation des masses, ou alors de chantage[57]. Critique d'art, il s'est toujours moqué des professionnels de la critique, ratés misonéistes, aussi inutiles que des ramasseurs de crottin de chevaux de bois, et il a martelé qu'une œuvre d'art ne s'explique pas, mais doit s'admirer en silence. Romancier, il a dénoncé la vulgarité et les conventions d'un genre qui avait fait son temps. Dramaturge, il a proclamé la mort du théâtre. Et néenmoins, professionnel de la plume et intellectuel engagé, il n'a jamais cessé d'écrire pour clamer sa colère ou ses enthousiasmes.

Postérité

Mirbeau n'a jamais été oublié et n'a jamais cessé d'être publié, mais on l'a fréquemment mal lu, à travers de trompeuses grilles de lecture (par exemple, nombre de critiques et d'historiens de la littérature l'ont embrigadé bien malgré lui parmi les naturalistes), ou bien on a voulu voir dans plusieurs de ses romans des œuvres érotiques, comme en témoignent nombre de couvertures de ses innombrables traductions. On a aussi eu fâcheusement tendance à diminuer son immense production aux trois titres les plus emblématiques de son œuvre littéraire. Politiquement incorrect, socialement irrécupérable et littérairement inclassable, il a traversé, après sa mort, une longue période d'incompréhension de la part des auteurs de manuels et d'histoires littéraires ; et le faux «Testament politique», rédigé par Gustave Hervé et publié cinq jours après sa mort par sa veuve abusive, Alice Regnault, a contribué à brouiller durablement son image[58].

Heureusement, depuis vingt ans, grâce au développement des études mirbelliennes (parution de sa biographie, nombreuses découvertes de textes insoupçonnés, publication de très nombreux inédits, fondation de la Société Octave Mirbeau, création des Cahiers Octave Mirbeau, organisation de nombreux colloques internationaux et interdisciplinaires (sept entre 1991 et 2007), constitution d'un Fonds Octave Mirbeau à la Bibliothèque Universitaire d'Angers, ouverture de deux sites Internet consacrés à Mirbeau, mise en ligne de la plus grande partie de ses rédigés), on le découvre sous un jour nouveau, on le lit sans idées préconçues ni étiquettes réductrices, on publie la totalité de son œuvre, dont des pans entiers étaient méconnus ou ignorés, ou alors complètement insoupçonnés (ses romans rédigés comme nègre, par exemple), et on débute tardivement à prendre la mesure de son tempérament d'exception, de son originalité d'écrivain et du rôle éminent qu'il a joué sur la scène politique, littéraire et artistique de la Belle Époque, mais aussi dans l'évolution des genres littéraires.

Société Octave Mirbeau

En novembre 1993 a été créée la Société Octave Mirbeau, présidée par Pierre Michel, qui a son siège à Angers. Elle publie l'ensemble des ans de copieux Cahiers Octave Mirbeau (16 numéros parus). Elle a constitué un Fonds Mirbeau à la Bibliothèque Universitaire d'Angers, organisé trois colloques internationaux, créé un site Internet et un portail Internet multilingue, co-édité plusieurs volumes de textes et œuvres de Mirbeau et édité ou mis en ligne elle-même plusieurs études sur Mirbeau. Elle va publier début 2010 un Dictionnaire Octave Mirbeau.

Œuvres

Romans

Un gentilhomme, Flammarion, 1920

Théâtre

Contes et nouvelles

La Pipe de cidre, Flammarion, 1919

Textes de critique

Un homme sensible, 1919, et Le petit gardeur de vaches, 1922

Textes politiques et sociaux

Correspondance

Études

Livres

Revues

Notes et références

  1. Le jeune Mirbeau a été expulsé du collège à quelques semaines uniquement de la fin de l'année scolaire et sous prétexte de mauvaises notes. Dans Sébastien Roch, le héros éponyme est séduit et violé par son maître d'études, le père de Kern, qui le fait ensuite chasser, par peur d'être dénoncé, sous prétexte de relations "contre-nature" avec son camarade Bolorec, d'où la question posée par ses biographes : ne serait-il pas arrivé le même traumatisme à Mirbeau, dont le maître d'études était le père Stanislas du Lac, qui fera ensuite une belle carrière de prédicateur et qu'il retrouvera, dans le camp adverse, pendant l'affaire Dreyfus ? Sur cet épisode, voir Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, l'imprécateur au cœur fidèle, Séguier, 1990, p.  42-46 ; et l'article de Pierre Michel, «Octave Mirbeau et Stanislas du Lac», dans les Cahiers Octave Mirbeau, n° 5, 1998, p.  129-145.
  2. Dans Les Grimaces du 29 septembre 1883.
  3. Sur cette expérience amère, voir surtout un de ses tout premiers contes, «Un raté», Paris-Journal, 19 juin 1882.
  4. Cinq de ces volumes ont été publiés en annexe de l'Œuvre romanesque de Mirbeau, chez Buchet/Chastel, 200-2001, et sont aussi accessibles sur Internet, sur le site des Éditions du Boucher, décembre 2003. Voir aussi Pierre Michel, «Quelques réflexions sur la négritude», Cahiers Octave Mirbeau, n° 12, 2005, p.  4-34, et Octave Mirbeau et la négritude.
  5. Mirbeau cite aussi un vers inédit de Rimbaud dès 1883 dans «La Sœur de charité» et un autre vers de Rimbaud, complètement inconnu d'autre part, dans une chronique du 23 février 1885, «Les Enfants pauvres». Voir l'article d'Arnaud Wajdzik, Ouest-France, 13 mars 2009.
  6. Il continue néanmoins à faire le nègre pendant plus d'un an toujours, et fait surtout paraître en 1885, dans Le Gaulois, de pseudo-Lettres de l'Inde, rédigées pour le compte d'un politicien opportuniste, François Deloncle, envoyé en mission en Inde par Jules Ferry
  7. Voir Correspondance avec Rodin, Le Lérot, 1988, Correspondance avec Monet, Le Lérot, 1990, et Combats esthétiques, 2 vol., Séguier, 1993.
  8. Sur l'accueil de ces trois romans, fréquemment qualifiés d'autobiographiques, voir Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, l'imprécateur au cœur fidèle, Séguier, 1990, p.  287-301, 350-355 et 406-409.
  9. C'est après avoir découvert Maurice Mæterlinck qu'il fait paraître, dans L'Écho de Paris, une série de Dialogues tristes, qui se ressentent de l'influence du poète belge.
  10. Voir Pierre Michel, «L'itinéraire politique d'Octave Mirbeau, Europe, mars 1899, p.  96-109, et Octave Mirbeau, Combats politiques, Librairie Séguier, 1990.
  11. Cité par Eugène Sémenoff, dans le Mercure de France de septembre 1903. Tolstoï admire tout spécifiquement Le Journal d'une femme de chambre et Les affaires sont les affaires, dont Mirbeau lui a envoyé un exemplaire de luxe orné d'un envoi admiratif.
  12. Stéphane Mallarmé, Œuvres complètes, Pléiade, p.  329, et Correspondance, Gallimard, t. IV, p.  127.
  13. Georges Rodenbach, «M. Octave Mirbeau», Le Figaro, 14 décembre 1897 (article inséré dans L'Élite, Fasquelle, 1899).
  14. Lettre de Remy de Gourmont à Octave Mirbeau du 18 mai 1891, Imprimerie gourmontienne n° 1, 2000.
  15. Émile Zola, Correspondance, C. N. R. S., t. X, p.  169.
  16. Voir «Les demeures d'Octave Mirbeau».
  17. «Si Dieu existait, comme le croit vraiment cet étrange animal d'Edison qui s'imagine l'avoir découvert dans le pôle négatif, pourquoi les hommes auraient-ils d'inutiles et inallaitables mamelles ?», «?», L'Écho de Paris, 25 août 1890.
  18. «Je n'ai qu'une haine au cœur, mais elle est profonde et vivace : la haine de l'éducation religieuse. […] Est-ce que, sous prétexte de liberté, on permet aux gens de jeter du poison dans les sources ?» («Réponse à une enquête sur l'éducation», La Revue blanche, 1er juin 1902 : Combats pour l'enfant, Ivan Davy, 1990, p.  165)
  19. «L'apologie – non pas même de la Force, qui peut avoir sa beauté –, mais de l'ensemble des violences criminelles, voilà de quoi se compose seulement l'éducation militaire… [... ] La caserne ne produit pas que des assassins ; elle produit – ce qui est pire, peut-être, au point de vue social – des déclassés. Au sortir de la caserne, les jeunes soldats, en qui on s'est acharné à détruire l'ensemble des facultés normales, l'ensemble des sentiments moyens, ne savent plus que faire, ne veulent plus rien faire, ne peuvent plus rien faire. C'est qu'en réalité ils sont désormais inaptes à la vie civile…» (Préface à Un an de caserne, L'Aurore, 9 juillet 1901 ; Combats littéraires, L'Âge d'Homme, 2006, p.  524-5).
  20. «Âmes de guerre» est le titre de deux de ses articles parus dans l'Humanité en 1904.
  21. Son article, intitulé «La Grève des électeurs», a paru dans Le Figaro le 28 novembre 1888 et a été diffusé par les groupes anarchistes à des centaines de milliers d'exemplaires à travers l'Europe (fréquemment avec Prélude, paru le 14 juillet 1889)  ; il est accessible en plusieurs langues sur Internet et , évidemment, sur WikiSource
  22. Librairie Séguier, 1990.
  23. Voir la lettre de Mirbeau à Ernest Vaughan, directeur de L'Aurore, datée du 8 août 1898, in Cahiers Octave Mirbeau, n° 16, 2009, pp. 213-214.
  24. «Trop tard !», L'Aurore, 2 août 1898.
  25. «À un prolétaire», L'Aurore, 8 août 1898.
  26. Interview de Mirbeau par Louis Nazzi, Comœdia, 25 février 1910.
  27. Voir Pierre Michel, Lucidité, désespoir et écriture, Presses de l'Université d'Angers - Société Octave Mirbeau, 2001
  28. «Clemenceau», Le Journal, 11 mars 1895.
  29. «Notes sur l'art - Éva Gonzalès», La France, 17 janvier 1885 (recueilli dans ses Combats esthétiques, Séguier, 1993, tome I, p.  104).
  30. Voir surtout son premier article sur «Claude Monet», dans La France du 21 novembre 1884 : «Que pensera-t-on de nous, plus tard, lorsque on se dira que tous ceux qui furent de grands artistes et qui porteront, dans la postérité, la gloire de ce demi-siècle, ont été injuriés, vilipendés, pis toujours, plaisantés ?... Les œuvres d'art, qui font naître l'émotion et le recueillement au fond des âmes naïves, ne nous inspirent à nous, nation spirituelle, que des calembours, et nous passons devant ces œuvres, ne leur laissant de notre passage qu'une sottise lancée sur un jet de salive.»
  31. «Au conseil municipal», Le Journal, 12 juillet 1899 (Combats esthétiques, t. II, p.  228).
  32. «Maurice Mæterlinck», Le Figaro, 24 août 1890.
  33. Voir la préface de Mirbeau à Marie-Claire, Fasquelle, 1910 (Combats littéraitres, p.  596-598).
  34. Voir Pierre Michel, «Octave Mirbeau et Jules Renard», dans Jules Renard, un homme de lettres, vol. 2, septembre 2001, p.  37-41
  35. Voir l'article de Pierre Michel, «Octave Mirbeau et Oscar Wilde».
  36. Voir «Knut Hamsun», Le Journal, 19 mars 1895.
  37. Voir Pierre Michel, Octave Mirbeau et Léon Werth, 2006.
  38. L'Écuyère, Le Boucher, 1882 
  39. La Maréchale, Le Boucher 
  40. La Belle Madame Le Vassart, le Boucher, 1884 
  41. Voir sa Correspondance générale, L'Âge d'Homme, 2003, t. I, p.  45.
  42. Voir Octave Mirbeau, Correspondance générale, L'Âge d'Homme, 2003, t. I, p.  45-47, et Pierre Michel et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, l'imprécateur au cœur fidèle, p.  33-46.
  43. «Le meurtre est la base même de nos institutions sociales, donc l'obligation la plus impérieuse de la vie civilisée... S'il n'y avait plus de meurtre, il n'y aurait plus de gouvernements d'aucune sorte, par ce fait admirable que le crime généralement, le meurtre surtout sont , non seulement leur excuse, mais leur unique raison d'être...» (Frontispice du Jardin des supplices, Éditions du Boucher, 2003, p.  40).
  44. «Si infâmes que soient les canailles, ils ne le sont jamais tout autant que les honnêtes gens», Le Journal d'une femme de chambre, chapitre IX (Éditions du Boucher, 2003, p.  184).
  45. Voir Marcel Bouteron, «Apologie pour Mme Hanska», La Revue des deux mondes, 15 décembre 1924.
  46. Voir la préface de Pierre Michel à La 628-E8, pp 27-28 : «Aux yeux de Mirbeau, peu importe que l'anecdote soit controuvée, pour peu qu'elle permette de mettre en lumière des vérités qui lui sont chères et qu'on tient trop fréquemment sous le boisseau des préjugés et du politiquement correct. En l'occurrence, il s'agit de la guerre des sexes et de l'abîme d'incompréhension qui les sépare (les Balzac reviennent d'Ukraine “mariés et ennemis” pour s'être dupés l'un l'autre)  ; [... ] et de la parenté étroite qui lie le sexe et la mort, l'amour et la destruction, l'instinct génésique et la pourriture, et qui a déjà été illustrée dans Le Jardin des supplices et Le Journal d'une femme de chambre. On pourrait ajouter toujours que, à travers Mme Hanska, il règle sans doute ses comptes, une nouvelle fois avec son incompréhensive épouse, l'ex-théâtreuse Alice Regnault, comme s'il subodorait par anticipation les plus ignominieuses trahisons de sa mémoire qu'elle ne manquera pas de multiplier, au lendemain de sa mort.»
  47. Voir Pierre Michel, «Octave Mirbeau romancier», surtout p.  25 et p.  33.
  48. «Si pauvre qu'il soit, un homme ne vit pas que de pain. Il a droit, comme les riches, à la beauté», Les Mauvais bergers, acte III, scène 5 (Eurédit, 2003, p.  99.
  49. Dès l'automne 1884, Mirbeau a mené campagne contre la “charité” dans les colonnes de La France et du Gaulois, écrivant surtout : «La charité est devenue l'exploiteuse des misères, les saltimbanques battent la grosse caisse sur la peau des victimes» («Les Fêtes de charité», Le Gaulois, 6 octobre 1884).
  50. Voir l'édition critique du Foyer dans le tome III du Théâtre complet de Mirbeau, Eurédit, 2003.
  51. Voir Pierre Michel, «Octave Mirbeau, Eugène Ionesco et le théâtre de l'absurde», Cahiers Octave Mirbeau, n° 13, 2006, p.  159-170.
  52. Voir l'édition critique des Farces et moralités dans le tome IV du Théâtre complet de Mirbeau, Eurédit, 2003, et Pierre Michel, «Les Farces et moralités», dans les Actes du colloque Octave Mirbeau d'Angers, Presses de l'Université d'Angers, 1992, p.  379-392.
  53. Voir Pierre Michel, «Octave Mirbeau : les contradictions d'un écrivain anarchiste».
  54. Voir Pierre Michel, Lucidité, désespoir et écriture, Société Octave Mirbeau, 2001.
  55. Voir «Les Littérateurs et l'Anarchie», Le Gaulois, 25 février 1894
  56. C'est ainsi qu'il rédigé à Claude Monet, en juillet 1890 : «La littérature m'embête au-delà de tout. J'arrive à cette conviction qu'il n'y a rien qui plus est vide, rien qui plus est bête, rien qui plus est idéalement abject que la littérature» (Correspondance générale, tome II, p. 262).
  57. Voir «Le Chantage», Les Grimaces, 29 septembre 1883.
  58. Ce faux testament a été publié en annexe de ses Combats politiques, mais aussi le texte de Léon Werth démontrant qu'il s'agit d'un faux.

Liens externes

Œuvres d'Octave Mirbeau

Sur Octave Mirbeau

Citations

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